Comment je me suis payé la tête de mon arnaqueur

Dony explique comment elle a réussi à se payer la tête de son arnaqueur

Tout commence avec mon arnaqueur alors que j’étais inscrite sur le site doctissimo.fr Le 22 août 2015 je reçois un message privé. Le texte était en anglais traduit en français (Google Translate). Une certaine Farah Ibrahim désirait apprendre à me connaître et me demandait de lui communiquer mon adresse e-mail. Ayant déjà eu affaire à ce genre de messages, j’ai détecté l’arnaque tout de suite. Je lui communique donc l’adresse e-mail avec laquelle je m’étais inscrite sur le site, une adresse que j’avais créée avec une fausse identité. Sur le net, j’aime rester discrète.

Je reçois quelques heures après un message dans lequel «elle», cet arnaqueur, se présente (en anglais) : Farah Ibrahim, 19 ans, 1m60, née au Soudan, actuellement réfugiée dans un camp au Sénégal. (Depuis quand existe-t-il des camps de réfugiés au Sénégal ? qui plus est des réfugiés soudanais ? Je sens que je vais bien m’amuser !). En bonus j’ai droit à une photo (ils font des progrès dis donc !)

Sarah photo utilisé par un arnaqueur

Ladite Farah m’explique que son feu père, le Dr Ibrahim Garang était le «deputygeneral manager» (je ne sais pas à quoi ça correspond en français mais pour sûr c’était un type important !) de la CNPC OilCompany à la raffinerie de Khartoum au Soudan. Des rebelles ont attaqué sa maison un matin tuant sa mère et son père de sang-froid. Étant la seule survivante «elle» a réussi à s’enfuir dans un pays voisin le Sénégal. MDR Oh la boulette ! Sénégal pays voisin du Soudan ! Tellement marrant.

Il (mon arnaqueur) s’est dit qu’il avait affaire à un de ces européens qui ne connaissent absolument rien de la géographie de l’Afrique. Pas de bol pour lui, je suis moi-même africaine, vivant en Afrique. Ainsi «elle» se retrouve donc dans un camp au Sénégal et l’ordinateur qu’«elle» utilise appartient au Révérend Père de l’église du camp (bien sûr !). «Elle  souhaite donc en apprendre plus sur moi, mes goûts, patati, patata…

Je lui réponds, pleine de compassion, profondément attristée par le sort de cette «pauvre jeune fille». Mais y a un truc que je ne comprends pas : pourquoi moi ? On ne se connait pourtant pas. Pourquoi je t’intéresse ?

Cet arnaqueur me répond alors avec un message kilométrique m’expliquant qu’«elle»(Farah) a besoin de mon aide pour le transfert des 5,6 millions de dollars que son regretté père a déposé en son nom dans une banque mais auxquels «elle» n’a pas accès vu son statut de réfugiée, bien que possédant les papiers nécessaires. Évidemment, j’aurai une récompense de 30% pour mes bons et loyaux services et je l’aiderai à investir cet argent dans mon pays. Ok. Le décor est planté.

Je lui réponds en faisant ressortir quelques incohérences dans son récit (notamment la proximité Sénégal Soudan) mais en promettant de l’aider toutefois. Je fais croire à mon arnaqueur que je veux bien avaler ses ragots mais qu’il faut que je sois sûre qu’«elle» me dit toute la vérité. Finalement, je joue au monsieur hyper sérieux et hyper soucieux de bien être de cette gentille jeune fille. «Elle» ne répond pas à mes préoccupations dans un premier temps.

Comme j’ai mordu à l’hameçon, «elle» m’envoie direct les informations sur l’argent : numéro de compte, tous les renseignements et le nom de la banque : la Royal Bank of Scotland (qui existe vraiment), un numéro de téléphone, une adresse e-mail. Je dois contacter la banque. «Elle» a déjà informé la banque de mon prochain coup de fil (comment ?) en me présentant comme son partenaire étranger. Mais moi je tiens à obtenir les éclaircissements que j’ai demandés alors j’insiste. Il faut qu’«elle» m’explique toutes ces incohérences que j’ai notées dans son récit. Question de l’embêter et aussi par curiosité : qu’est-ce qu’il va bien pouvoir pondre comme justification ? Je ne contacterai pas la banque tant qu’il restera des zones d’ombre.

Mon arnaqueur m’envoie alors quelques explications bancales du genre «Oui mon cher vous avez raison, le Soudan n’est pas proche du Sénégal, je suis désolée de l’avoir dit de cette façon, le Sénégal est un pays pacifique c’est pour ça que nous sommes venus ici». Y a quand même pas mal de pays pacifiques entre le Soudan (à l’extrême est de l’Afrique) et le Sénégal (à l’extrême ouest) non ?

Peu importe ! Je voulais juste l’embêter un peu. Ok je peux maintenant écrire à la banque. J’aurais bien aimé appeler mais le hic c’est que je me suis fait passer pour un homme français alors que je suis une femme africaine. De toutes les façons je n’ai pas d’argent à gaspiller pour cet arnaqueur. Et au fait à ce stade je ne suis plus son cher mais son très cher. Je lui ai précisé que je suis ingénieur mécanicien et directeur technique d’une entreprise (bref un mec riche quoi !).

un arnaqueur au sénégal

Alors j’écris à la banque demandant la procédure à suivre et j’ai très vite une réponse. Si seulement les choses pouvaient être aussi rapides dans la vraie vie ! J’ai droit à des logos, des photos, des adresses, des slogans mais grosse déception. La mise en forme est lamentable, le langage l’est encore plus.

Alors, les pièces qu’il faut envoyer à la banque : l’acte de décès du père (Farah l’a déjà), le certificat de dépôt délivré par la banque au regretté père (c’est bon, «elle» l’a aussi) et (c’est là que ça devient intéressant) : une procuration et une déclaration sous serment me permettant de réclamer et de transférer les fonds à mon compte en son nom. Et une note très importante : un avocat résident au Sénégal doit homologuer ces documents puisque la jeune fille réside présentement au Sénégal. Le nœud de l’arnaque ! Et la banque me demande de me «dépêcher» de présenter ces documents pour qu’elle puisse transférer les fonds (MDR). Je fais part de ces exigences à Farah Ibrahim.

Le lendemain, miracle : «elle» a trouvé un avocat ! «Elle» a discuté de cela avec son Révérend Père David qui justement connaissait un avocat et il le lui a recommandé. À présent je suis son chéri bien-aimé. Mon arnaqueur m’envoie donc le contact de cet avocat sénégalais, Maître Mamadou Mbaye. Je lui écris donc, en français cette fois (il est sensé être sénégalais !). Le troisième personnage entre ainsi sur scène. Bizarrement, cet avocat sénégalais à qui j’ai écrit en français de surcroît me répond en anglais. Pauvre arnaqueur ! Se faire passer pour un sénégalais alors qu’il ne sait même pas parler français. Je reçois un message avec plein d’effets spéciaux aussi : images, slogans, logos, adresses, etc… Mise en forme et langage toujours aussi nuls. Bref !

Dans un premier temps il me demande juste des informations : nom, adresse, numéro de passeport etc. Pas difficile à imaginer ! Je les lui donne. J’invente une adresse à Paris. Entre temps Farah m’écrit : «elle» est inquiète que je ne lui ai pas fait signe depuis deux jours, «elle» m’aime de tout son cœur gnagnagna, gnagnagna… Me Mamadou Mbaye me répond. Il m’envoie un devis interminable de tout ce qu’il faudra payer, authentifier, légaliser… Bilan : 2000 $ que je dois envoyer par Western Union ou Money Gram. Il me donne toutes les informations nécessaires pour le transfert. Nous y voilà enfin ! Depuis que j’attendais ce moment.

Chose intéressante, cet arnaqueur me dit quelle question et quelle réponse inscrire sur le bordereau. Ceci est très révélateur : Un arnaqueur, utilisant toujours de fausses identités, a besoin que vous écriviez une question et une réponse sur le bordereau d’envoi c’est pourquoi ils vous imposeront cela pour ne pas vous laisser de choix. Ainsi, il peut retirer l’argent sans se faire identifier. N’envoyez jamais de l’argent à quelqu’un qui vous dicte quelle question et quelle réponse écrire. Et de toutes les façons n’envoyez jamais de l’argent par Western Union ou MoneyGram à quelqu’un que vous ne connaissez pas à l’étranger pour un business.

Je décide de m’amuser encore un peu : j’annonce à l’avocat que ça tombe bien, j’ai demandé un congé je serai justement au Sénégal d’ici peu. On pourra discuter de tout ça en tête-à-tête et je le paierai directement. Ha-ha-ha j’aurais aimé voir sa tête. J’annonce aussi la nouvelle à Farah. Soudain, plus de nouvelles de l’avocat. Le lendemain Farah me dit qu’ «elle» est tellement contente que je vienne mais «elle» craint que la sécurité du camp ne la laisse sortir pour me rencontrer (bien que par la suite «elle» me rendra compte de visites rendues à l’avocat). «Elle» insiste pour que je lui dise quand exactement je serai là. Je lui dis que j’y serai le lendemain, «elle» a juste à me donner une adresse précise et je suis sûre qu’on se rencontrera. Plus de nouvelles de Farah non plus. Ce n’est plus marrant là.

Nouveau coup de théâtre j’ai reporté mon déplacement à cause du boulot : quelques derniers petits trucs à faire. Mais je précise bien que j’enverrai l’argent avant de venir au Sénégal pour ne pas faire traîner les choses. Farah me répond enfin en me donnant une adresse à Dakar et me fait comprendre que ma suggestion est très bonne : je dois envoyer l’argent d’abord. Quand ça sera fait, je dois l’informer comme ça «elle» ira au bureau de l’avocat pour signer les documents (Tiens ! Et la sécurité du camp ?) .

Mairie de Dakar
Mairie de Dakar Crédit : HaguardDuNord

Le jour même je dis à l’avocat que j’ai envoyé l’argent par Western Union, je donne un faux numéro de transfert. Très vite il me répond que le numéro de transfert fourni n’est pas valide. Il me demande une copie scannée du reçu de paiement. Pas de problème. Je télécharge un bordereau sur Internet, je passe toute la soirée sur Photoshop : j’efface les informations déjà écrites, je les remplace par les miennes et je fais bien attention à changer un chiffre du numéro de référence que j’avais envoyé : à la place d’un 8 je mets 9. J’ai donc un reçu tout neuf que je lui envoie le lendemain.

Voyant que le numéro inscrit sur le bordereau est différent de celui que j’avais donné la veille. Il se dit certainement que je m’étais trompée en écrivant. Ça le pousse donc à repartir au bureau Western Union avec le nouveau numéro. Vu le temps qu’il a mis avant de répondre, je suppose qu’il y est allé une première fois, on lui a dit que le numéro était incorrect, il y est allé une deuxième fois avec l’imprimé de la copie scannée que je lui ai envoyée et là on lui a expliqué que c’était un faux. J’aurais aimé voir sa tête : c’est lui qui était à la place du pigeon maintenant. Cet arnaqueur a dû se sentir vraiment ridicule (bingo !).

Il m’envoie donc un message. Plus de logos, plus de photos, plus de slogans, bref plus d’effets spéciaux ! Il devait être sérieusement en pétard (MDR). Il me menace, me dit que son cabinet n’est pas un terrain d’amusement, que je suis un faussaire, que je devrais trouver mieux à faire de mon temps, que je devrais cesser de tromper la jeune Farah et lui avouer que je ne veux pas l’aider afin qu’«elle» commence à chercher quelqu’un d’autre. Je fais celui qui tombe des nues, je lui demande des explications. Entre temps Farah m’envoie des messages (à moi son chéri) disant qu’«elle» a reçu l’appel de l’avocat en colère et que je dois rentrer à l’agence Western Union corriger l’erreur. Un peu le jeu du gentil et du méchant flic version arnaqueur.

L’avocat se calme et m’explique que le numéro de transfert est incorrect et que le reçu que je lui ai envoyé est un faux : il n’y a pas de timbre dessus. Il prétend qu’en sa qualité d’avocat on ne peut pas le tromper. Je lui réponds que les timbres ne sont plus apposés sur les reçus Western union. A la place, ce sont maintenant des codes-barres et il y a bien un code-barre sur le reçu que je lui ai envoyé. Je lui promets cependant que je retournerai chez Western Union le lendemain matin. À ce moment je prévoyais tout lui révéler le lendemain. Mais j’ai changé d’avis entre temps pour faire durer le jeu. Le lendemain je lui envoie donc cet e-mail (que j’ai traduit en français) :

Cher Maître Mamadou Mbaye,
Il y a un sérieux problème. Je suis allé à l’agence Western Union ce matin. Le guichetier m’a informé que ma transaction a été bloquée à cause d’une nouvelle politique de sécurité. Les transferts d’argent vers l’Afrique de l’Ouest sont désormais traités avec précaution parce que Western Union a reçu de nombreuses plaintes d’escroquerie. Ils ne pouvaient pas me contacter par téléphone vu que je n’avais pas marqué de numéro sur le bordereau mais ils ont néanmoins envoyé un courrier à mon adresse pour m’informer. Mais puisque je ne suis pas à Paris présentement je n’ai pas eu l’information plus tôt. Le guichetier m’a alors demandé le motif du transfert mais je ne l’ai pas révélé parce que je veux que tout reste confidentiel. Il m’a conseillé d’obtenir plus d’informations sur le bénéficiaire avant de débloquer le transfert.
Ceci m’a fait réaliser que je vous ai fait confiance aveuglément sans demander de preuves pour me rassurer que ce business est réel. Monsieur, je suis très motivé à aider Miss Farah et la compensation qu’elle m’a promise est très tentante.Mais je ne continuerai pas de coopérer avec vous sans aucune preuve de votre sincérité. Donc, ce que je veux maintenant c’est une copie scannée de :
– l’acte de décès de son père ;
– du certificat de dépôt de la somme délivré par la Scotland Bank ;
– du décret vous autorisant à exercer la profession d’avocat au Sénégal.
>Je veux que cette affaire soit vite conclue donc je vous donne DEUX jours pour me montrer ces preuves. Si vous le faites, je débloque le transfert et vous aurez votre argent. Si vous ne le faites pas, vous n’entendrez plus jamais parler de moi.
J’attends une réponse aujourd’hui.
Cordialement,
Daniel (mon pseudonyme).

Notez que dans mon message je laisse comprendre à mon arnaqueur que je suis toujours intéressée par l’argent. Ceci pour qu’il ne se décourage pas et qu’il ne se concentre pas sur une autre proie. Non, je veux qu’il soit motivé pour perdre du temps et des moyens à fabriquer de faux documents pour me les envoyer. C’est d’ailleurs pour ça que je lui donne jusqu’à deux jours. Plusieurs heures passent : aucune réponse. Je commence à comprendre qu’il n’est même pas capable de me produire de faux documents. Puis je reçois un message : « You try ». Jusqu’à présent je n’ai pas compris ce qu’il a voulu dire.

Royal Bank of Scotland
Royal Bank of Scotland
Crédit : Tony Hisgett

Pour le relancer, j’écris parallèlement à Miss Farah. Je lui dis qu’il y a un petit souci mais que tout sera bientôt réglé .Je lui demande également si «elle» a confiance en cet avocat. Sa façon de répondre est très différente cette fois. Plus de formules de politesse, plus de «chéri», plus de «bien-aimé», plus de paroles mielleuses, juste un «Oui, je lui fais confiance». Point. Ha-ha-ha ! J’ai frappé là où ça fait mal !

Le temps passe et aucune réponse de l’avocat. Je lui demande alors «Dois-je conclure que vous êtes incapable de me fournir ces preuves ?». Aucune réponse. Je patiente jusqu’au soir. Je lui envoie enfin un message kilométrique expliquant à mon arnaqueur que depuis le début je me payais sa tête ! Étant chrétienne, je ne pouvais clore sans lui dire que peu importe toutes les choses terribles qu’il a pu faire dans sa vie, s’il décide de tout abandonner et qu’il prie simplement à Dieu, il sera pardonné et son cœur sera purifié de tout cela.

Pour conclure ce long témoignage, je tiens d’abord à remercier tous ceux qui l’auront lu jusqu’au bout. Je voudrais aussi dire que, comme je l’ai dit à cet arnaqueur, ceux qui sont victimes d’escroqueries ne sont pas forcément stupides ou naïfs. Je connais plusieurs personnes averties qui se sont fait avoir. C’est avant tout une question d’état émotionnel. Les arnaqueurs jouent sur les émotions, pas sur l’intelligence. Vous pouvez être très sage, très intelligent, très éveillé. Mais il suffit que vous soyez un peu troublé ou distrait un jour par un souci pour devenir une proie vulnérable.

Alors ne dites jamais que cela ne peut pas vous arriver. Ne traitez jamais ceux qui en sont victimes d’imbéciles comme je l’ai lu dans de nombreux commentaires. Non seulement vous n’aidez pas ces personnes qui ont besoin d’être soutenues dans ces moments mais ce genre de réflexions peuvent même les pousser au suicide. Je n’ai jamais été victime d’arnaque (peut-être parce que je n’ai même pas d’argent de toutes les façons : comme quoi la pauvreté a du bon parfois !). Mais je suis consciente que ça peut m’arriver aussi un jour et chacun devrait en être aussi conscient. Sachons rester humbles.

2 réflexions au sujet de « Comment je me suis payé la tête de mon arnaqueur »

  1. comme par hasard, je suis allé voir sur votre site mais mon annonce n’est pas passé
    j’ai visité les photos des hommes après je m’en doutais une invite sur mon instagram, je l’ai vu, il m’a ecrit vite fait, il est soi disant en caserne à toulouse, je lui demande où je passerais le voir, c’est faux je n’ai pas le temps et j’habite à Lille. Après il change de ville bref j’avais zappé quand j’ai vu qu’il avait escroqué des femmes, par solidarité je vous envoie sa photo

  2. Merci pour CE commentaire et la conclusion. Méfiez vous aussi des vrais profils qui utilisent les mêmes méthodes que les brouteurs. […]

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